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Les villes, moteurs du droit de vote des femmes

9 août – Le droit de vote des femmes a été introduit en Suisse avant tout grâce aux villes. Les villes ont joué un rôle moteur et furent les principaux lieux d’action de la lutte pour l’introduction de ce droit démocratique fondamental, et ce sont les électeurs citadins qui lui ont permis, en 1971, de réaliser sa percée politique au niveau national. Les premiers succès locaux et cantonaux ont eux aussi été obtenus grâce aux villes.

Auteure: Brigitte Studer, Prof. émérite d'histoire suisse et d'histoire générale contemporaine à l'Université de Berne.

 

Au 19e siècle déjà, on pouvait entendre par-ci par-là des voix réclamer, après 1848, le droit de vote et d’élection également pour les Suissesses; or ce n’est qu’au début du 20e siècle que cette revendication s’est faite entendre de façon systématique et organisée. Peu après le tournant du siècle furent créées les premières associations suisses pour le suffrage féminin, dans un premier temps au niveau local – d’abord dans les villes de Neuchâtel et Olten (1905), suivies de Genève et Lausanne, Berne et La Chaux-de-Fonds. Début janvier 1909, une organisation nationale en faveur du droit de vote a été fondée à l’initiative de l’organisation sœur internationale. Le nombre de membres de l’Association suisse pour le suffrage féminin (ASSF), un groupement mixte, est certes resté limité, mais durant sa phase du début, elle recrutait ses représentantes et représentants presque exclusivement parmi les élites urbaines. Notamment dans les villes de Genève et Zurich, ses membres étaient majoritairement des professeurs, médecins, enseignantes, banquiers, épouses de pasteurs et hommes politiques libéraux, tandis qu’à La Chaux-de-Fonds, ville industrielle horlogère, de nombreux fonctionnaires de fédérations socio-démocrates et des fonctionnaires locaux ainsi que des industriels d’obédience libérale et philanthropique se sont engagés aux côtés de leurs épouses et des enseignantes célibataires en faveur des droits politiques des femmes.

 

38 ans d’attente

C’est grâce aux motions déposées par les deux conseillers nationaux Herman Greulich et Emil Göttisheim en décembre 1918 que la revendication du droit de vote pour les femmes a finalement été mise à l’ordre du jour du Parlement à la fin de la Première Guerre mondiale et après la grève générale suisse. Durant les débats qui ont suivi en juin 1919 , le social-démocrate de Zurich et le libéral de Bâle-Ville ont argué que le droit de vote des femmes constituait un droit humain, donc un droit démocratique fondamental, et qu’une démocratie exigeait la participation de toutes et de tous. Cette argumentation n’a toutefois nullement impressionné le Conseil fédéral; il n’a accepté les motions qu’à titre de postulats non contraignants, suite à quoi elles ont disparu dans un tiroir durant des décennies. Même lorsque les organisations de femmes ont déposé en 1929 une pétition rassemblant tout de même 250’000 signatures, le Conseil fédéral a omis d’agir, bien que la commission des pétitions du Parlement ait réactivé les deux postulats Greulich et Göttisheim par le biais d’une motion et que les Chambres aient déclaré ces postulats pertinents. Ce n’est qu’en février 1957, soit 38 ans après, que le Conseil fédéral a adopté un premier message relatif à la mise en œuvre de la revendication!

 

Le résultat de la votation fédérale du 1er février 1959 fut plus que décevant pour les partisanes et partisans: en présence d’une participation au scrutin de 66,7%, deux tiers des hommes suisses ont dit non. En revanche, l’électorat masculin des cantons de Genève, Neuchâtel et Vaud ont approuvé le projet à une majorité de 60%, 52,2% et 51,3% des voix. La ville de Lausanne s’est même ralliée au projet fédéral par 64,4% et au projet cantonal par 65,5% des suffrages. Dans le canton de Neuchâtel, le résultat des villes de Neuchâtel, de La Chaux-de-Fonds et du Locle fut lui aussi décisif. Avant la fin de l’année, les trois cantons latins ont introduit le droit de vote intégral des femmes au niveau cantonal et communal, le canton de Genève dès l’année suivante. D’autres cantons ont suivi également avant 1971, mais de manière décalée, à savoir Bâle-Ville (1966), Bâle-Campagne et Soleure (1968), le Tessin (1968), Lucerne, Zurich et le Valais (1970). Dans la quasi totalité de ces cantons, la question avait déjà figuré plusieurs fois à l’agenda politique; cela témoigne du fait que les milieux partisans actifs s’étaient engagés de manière répétée en faveur de la revendication et que les autorités politiques avaient soumis un texte correspondant à la votation.

 

Rôle progressiste des villes

Le fait que précisément la Suisse latine (VD, NE, GE, TI, VS) et/ou les cantons plus ou moins urbanisés (BS, BL, LU, ZH) se soient montrés plus favorables à l’égalité que la moyenne suisse et, notamment, que les cantons de Suisse centrale et orientale, est imputable à divers facteurs. Ces facteurs ne jouent certes pas un rôle dans tous les cas avec la même intensité, mais ils relèvent clairement de caractéristiques liées à la modernité telles que la densité de population, la proportion d'étrangers ou la proximité de la frontière, la mobilité spatiale, une formation des femmes supérieure à la moyenne, une performance économique relativement élevée, un secteur secondaire et/ou tertiaire développé, l'implantation d'une université et/ou d'une institution de formation supérieure, des partis de gauche établis et, après la Seconde Guerre mondiale, des partis bourgeois culturellement progressistes comme les radicaux pour une partie d’entre eux, sans oublier les organisations féminines actives. Le facteur confessionnel a également joué un rôle, mais il n’était plus déterminant à lui seul depuis les années 1950.

 

Le rôle progressiste des villes s’est révélé dès les premiers résultats des votations. Le fossé entre les villes et les campagnes a caractérisé la toute première votation suisse qui s’est tenue le 29 juin 1919 dans le canton de Neuchâtel. Tandis qu’un total de seulement 30,8% des hommes votants ont approuvé l’introduction du droit de vote des femmes, la proportion des voix favorables s’est situé à 44% dans la ville horlogère de La Chaux-de-Fonds. Et au Locle, seules 30 voix manquaient pour constituer une majorité.

 

Le résultat positif du 7 février 1971 lors de la votation nationale, soit 65,7% de voix favorables à la modification de l’article 74 de l’ancienne Constitution fédérale, a lui aussi été obtenu grâce aux villes. Dans les cinq principales villes suisses, la proportion des voix favorables était de quatre cinquièmes (79,5%). Le projet a même recueilli près de 90% de voix favorables dans les deux villes romandes de Genève et de Lausanne: 91,5% à Genève et 88,3% à Lausanne. Les villes de Bâle, Berne et Zurich ont présenté quant à elles des taux de voix favorables compris entre 74 et 82%. En revanche, les communes rurales ont atteint un taux de voix positives de seulement 55,5%. Et dans une trentaine de communes rurales, l’adhésion au projet s’est même situé entre 0 et 20%.

 

Références

 

  • Werner Seitz, Auf die Wartebank geschoben. Der Kampf um die politische Gleichstellung der Frauen in der Schweiz seit 1900, Zürich 2020 (en allemand).
  • Brigitte Studer, La Conquête d'un droit. Le suffrage féminin en Suisse (1848-1971), Neuchâtel 2020.
  • Brigitte Studer, Judith Wyttenbach, Frauenstimmrecht. Historische und rechtliche Entwicklungen 1848 - 1971, Zurich 2021 (en allemand).

 

Brigitte Studer est Prof. émérite d'histoire suisse et d'histoire générale contemporaine à l'Université de Berne.

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