DE
<< retour

«Pour que la ville ne disparaisse pas de la carte» – de l’importance de l’Openair Frauenfeld pour la ville de Frauenfeld

9 juin 2021 – Une fois par an, des milliers de jeunes se rendent en pèlerinage à Frauenfeld pour participer au plus grand évènement hip-hop d’Europe. Cette année encore, le festival ne pourra pas se dérouler comme prévu, à cause du coronavirus. Un entretien avec le maire de Frauenfeld, Anders Stokholm, et l’organisateur du festival, René Götz, sur l’importance de ce temps fort culturel pour la région et la ville de Frauenfeld.

Après son annulation en 2020, l’Openair Frauenfeld ne pourra une fois encore pas avoir lieu en 2021. Que cela implique-t-il pour la ville et la région de Frauenfeld en général?

Anders Stokholm: Ces dernières années, Frauenfeld a accueilli plusieurs très grands évènements, comme la Fête fédérale de lutte et des jeux alpestres, mais en termes d’évènements réguliers et annuels, rien n’est comparable à l’Openair Frauenfeld. Songeons qu’à cette occasion, il y a tout de même 50 000 amateurs de musique qui viennent passer trois ou quatre jours dans notre petite ville de 25 000 habitants. L’impossibilité pour la deuxième fois de réaliser ce grand évènement majeur est extrêmement regrettable et a de nombreuses répercussions tant matérielles qu’immatérielles.

 

D’une part, de nombreux commerçants, prestataires de services, fournisseurs et particuliers de Frauenfeld et de toute la région souffrent de la perte de leurs plus grosses commandes de l’année et de l’annulation de leurs journées les plus rentables. L’impact se ressent dans les domaines les plus divers. Les clubs sportifs, par exemple, qui se financent en majeure partie grâce à leurs missions d’aide lors l’Openair, sont également impactés. Même la Ville de Frauenfeld perd beaucoup d’argent en raison de la non-perception de l’impôt à la source applicable aux musiciennes et musiciens qui se produisent lors du festival.

 

Vous évoquez des effets de nature immatérielle: qu’entendez-vous concrètement par là?

Anders Stokholm:  Cette perte est moins mesurable, mais considérable elle aussi. Jusqu’à il y a une vingtaine d’années, les Suissesses et Suisses associaient en premier lieu Frauenfeld à l’armée. Actuellement, les jeunes de 16 à 30 ans associent Frauenfeld au hip-hop et à un évènement unique et pacifique réunissant des personnes partageant les mêmes idées – ce qui est également perçu bien au-delà des frontières du pays grâce aux nombreuses retransmissions de radios et de télévisions étrangères. Cette deuxième annulation relèguera Frauenfeld au second plan sur la carte culturelle nationale.

 

Quelles précautions la Ville de Frauenfeld prend-elle pour ne pas disparaître de la carte culturelle nationale?

Anders Stokholm: La Ville de Frauenfeld peut-elle entreprendre quoi que ce soit contre l’annulation du plus grand festival de hip-hop d’Europe cette année encore? Non, bien évidemment, mais nous pouvons continuer à travailler en étroite collaboration avec les organisateurs et leur offrir notre aide dans les domaines où cela est possible. Cela consiste entre autres à contribuer à la réalisation d’un festival réduit à la fin de l’été.

 

Question à René Götz: Vous avez dû arrêter les planifications à deux reprises et n’avez pas pu réaliser l’Openair. Prévoyez-vous pour l’année prochaine le même évènement qu’avant la pandémie? Y a-t-il des modifications, ou vous en tenez au concept éprouvé et pour quelles raisons?

René Götz: Sur le plan conceptuel, nous nous en tenons au concept éprouvé, car il répond toujours à l’esprit du temps et aux tendances actuelles tout en les combinant. Il y a des modifications annuelles et d’autres optimisations destinées à améliorer encore l’expérience globale.

 

Dans quelle mesure la pandémie a-t-elle concrètement affecté la coopération entre la Ville et les sociétés organisatrices, notamment en ce qui concerne l'Openair Frauenfeld?

Anders Stokholm: Dans la culture, comme dans tous les autres domaines de la vie, personne n’aurait pu imaginer il y a deux ans à quel point la pandémie allait impacter notre mode de vie d’alors. Pour la coopération entre la Ville de Frauenfeld et les sociétés organisatrices, cela a entraîné une plus grande prise de conscience de l’importance et de la vulnérabilité de la culture et donc un regain de solidarité.

 

Les allocations pour pertes de gain et le chômage partiel étant règlementés au niveau national et cantonal, l’impact de la pandémie sur les services de promotion municipaux est probablement moins important. Comme probablement toutes les villes, la Ville de Frauenfeld a essayé d’être aussi tolérante et généreuse que possible, c’est-à-dire en n’exigeant pas le respect des conventions de prestations, mais en accordant et en versant des subventions très simplement, en soutenant aussi des évènements annulés ou en contribuant à supporter les coûts supplémentaires qui en résultaient, par exemple en soutenant les artistes en multipliant les acquisitions de leurs œuvres. En outre, nous avons rapidement créé un «Fonds Covid-19», qui est à la disposition de tous les secteurs, y compris de la culture et des associations.

 

Y a-t-il des expériences qui continueront à avoir des répercussions au-delà de la pandémie? Avez-vous repensé votre stratégie globale d’encouragement du secteur culturel?

Anders Stokholm: Je crains que nous ne soyons pas en mesure d’évaluer les effets de la pandémie avant longtemps, c’est pourquoi cela n’a pas de sens de repenser la stratégie d’encouragement dans l’immédiat.

 

En tant qu’entrepreneur culturel, comment avez-vous vécu l’évolution de la politique culturelle pendant la pandémie? Les mesures prises, telles que les possibilités de projets de transformation, vous semblent-elles recéler un potentiel, pour les grands évènements mais aussi pour des aspects plus pointus du secteur de la musique?

René Götz: Pour nous, entrepreneurs culturels, cette période est la plus difficile que l’on pouvait imaginer. L’interdiction d’exercer notre profession nous frappe très durement sur le plan économique (les allocations pour pertes de gain ne couvrent qu’une partie des frais encourus et ont en outre été plafonnées pour cette année...). Nous souhaitons des paramètres plus équitables et uniformes à l’échelle nationale pour l’application de l’allocation pour perte de gain, sans marges d’appréciation laissées aux cantons, telles que le plafonnement de l’allocation ou un calcul de l’allocation basé sur des pourcentages inférieurs.

 

Nous avons proposé un projet de transformation pour reconquérir le public. Grâce à «OAF MAG - digitales Magazin» («OAF MAG - magazine numérique»), nous transportons le festival dans l’espace numérique (de la pelouse vers l’internet). Nous attendons à ce propos les réactions de l’office cantonal de la culture et comptons sur le soutien des autorités.

 

Selon vous, quelles mesures devront être prises en matière de promotion de la culture et de politique culturelle après la pandémie, plus précisément pour l’année 2022 et à moyen terme?

René Götz: La diversité de l’offre culturelle et la convivialité qu’offrent la musique et les divertissements constituent dans notre société et pour notre coexistence des «biens» importants qu’il faut soigner et encourager. Les exigences et les prescriptions légales se durcissent d’année en année (pandémie, terrorisme, protection de l’environnement, etc.). Les réserves des entreprises du secteur évènementiel sont intégralement épuisées. Nous aurons donc besoin d’un soutien actif de la politique culturelle au cours des prochaines années, par exemple par l’introduction d’un franc culturel par visiteur (en tant que soutien dégressif de démarrage sur les 5 années à venir).

 

Comment répondriez-vous à cette question? Que peuvent faire les différents échelons de l’État dans ce domaine?

Anders Stokholm: Je suis plutôt sceptique quant à la forte augmentation des fonds d’encouragements nationaux et cantonaux versés aux projets de transformation, qui sont souvent associés à des formats numériques. Avec leurs concerts, lectures publiques et représentations théâtrales, la plupart des acteurs et médiateurs culturels souhaitent toucher le public très directement. La culture se nourrit de la convivialité, de l’échange, du contact. C’est pourquoi cet engouement au fond paradoxal pour les projets de transformation, pour le transfert vers l’internet et pour les évènements numériques orchestré par les bailleurs de fonds me semble quelque peu désemparé, et symbolise en quelque sorte notre impuissance face à la pandémie.

 

À mes yeux, les actions nécessaires en matière de politique culturelle doivent avant tout viser – comme dans toute politique en général – à préserver la proportionnalité de toutes les mesures, y compris celles qui relèvent de la politique de la santé. La Confédération, les cantons, les villes et les communes devront quant à eux offrir dans les années à venir de bonnes conditions-cadres et des ressources financières afin que la culture puisse à nouveau s’épanouir dans toute sa diversité.

 

Y a-t-il une expérience de la gestion de la situation de pandémie qui vous a enrichi et dont vous estimez qu’elle aura un impact durable sur la coopération entre partenaires, sur la pratique organisationnelle et de planification ou au niveau de la stratégie et de la vision?

René Götz: Non, au contraire. Le principal problème est l’absence de sécurité de planification. Les grands évènements exigent un long délai de préparation, et il aurait par conséquent été souhaitable que les autorités règlent la durée des mesures liées à la pandémie pour les grands évènements sur long terme et sur une base uniforme à l’échelle nationale – même si cela signifie que nous serons empêchés de travailler pendant une période plus longue. Une planification plus transparente et plus compréhensible aurait moins exposé les organisateurs au stress psychologique, de toute façon très important. Précision importante: nous ne critiquons pas les mesures et les avons donc toujours soutenues. Nous critiquons la gestion de la crise et la communication de crise.

 

Après 14 mois sous le joug du covid-19, quel est votre bilan spécifique au département Culture?

Anders Stokholm: Même si une grande partie de la misère du secteur a été atténuée grâce aux nombreuses mesures prises par le Conseil fédéral, le bilan après 14 mois de covid-19 est désastreux, tant pour les acteurs et les médiateurs culturels que pour le public. Une grande partie des personnes travaillant dans le secteur culturel vivent quotidiennement à la limite du minimum existentiel, mais ces personnes s’en accommodent pour continuer à profiter de leur liberté et de la possibilité de vivre leur passion. Comme ce mode de vie déjà laborieux en temps normal a tout simplement été suspendu et rendu impossible durant des mois, parmi les personnes concernées, beaucoup seront dans l’avenir proche à l’affût de revenus et d’activités à l’abri des crises, ou en tout cas moins sensibles aux crises. Une grande partie du public reste pour sa part très réticent à partager une pièce avec des inconnus et continuera dans l’avenir à rester davantage entre ses quatre murs.

 

Quelles sont vos réflexions pour l’avenir, pour l’Openair Frauenfeld et son importance pour la ville, mais aussi pour Frauenfeld en tant que site en général?

Anders Stokholm: En ce qui concerne l’Openair Frauenfeld et de nombreux autres manifestations et festivals de moindre envergure qui se déroulent dans notre ville, nous espérons qu’ils pourront avoir à nouveau lieu dès que possible, et comme avant: comme des happenings paisibles et formidables où les gens peuvent se rencontrer comme ils le souhaitent. Ceux qui pensent que la culture est un luxe qu’on ne peut se permettre en temps de crise ne reconnaissent pas son importance pour la cohésion sociale et pour l’identité personnelle. La culture rassemble les types de personnes, classes sociales et origines les plus divers dans une célébration et un plaisir communs. Là où cela disparaît, les forces centrifuges prennent le dessus. C’est pourquoi je me méfie de l’expression «nouvelle normalité», car elle peut être interprétée à tort comme une justification de l’abandon de valeurs et d’acquis fondamentaux. Parmi ceux-ci, il y a le rassemblement informel de nombreuses personnes pour faire la fête ensemble. Et cela ne fait pas vivre seulement Frauenfeld.

 

«Après le covid: les voix des villes» paraît chaque mercredi. Cette série est l’occasion pour des experts de différents domaines de prendre position sur les thèmes les plus brûlants de l’actualité du point de vue des villes (s'abonnner).

 

Anders Stokholm (PLR) est maire de Frauenfeld depuis 2015 (à gauche)

René Götz est directeur général de First Event AG, organisateur de l’Openair Frauenfeld depuis 2004. First Event AG est une filiale de Live Nation et l’un des plus grands organisateurs de concerts de Suisse.

  ·  
+41 78 739 78 16
  ·  
info@aegerter-holz.ch