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Le covid et les finances des villes: des réformes de la péréquation financière sont nécessaires

16 juin 2021 – Les villes sont les moteurs économiques et les vaches à lait de la nation, mais la participation et les flux financiers ne sont pas à l’avenant. La crise du coronavirus nous le montre aujourd’hui de manière flagrante: l’actuel système de péréquation financière ne tient pas compte de l’importance des villes pour l’économie, la culture et la société.

de Michael Aebersold, directeur des finances, des ressources humaines et de l'informatique de la ville de Berne.

 

L’image de la Suisse est baignée de simplicité: fraîcheur des lacs de montagne, montagnes et vallées abruptes, vaches, herbe luxuriante, lait, fromage et chocolat. Le coronavirus a encore amplifié le désir de nature des Suissesses et des Suisses et hormis les montres, les stéréotypes sur la Suisse ont une connotation rurale. La réalité est bien différente. La Suisse est un pays urbain. Environ les trois quarts de la population vivent dans des villes ou des agglomérations. Par leur développement dynamique, elles sont à l’origine de la prospérité de la Suisse. Les villes donnent le ton sur les plans économique, culturel et social. C’est là que se concentrent les sièges des entreprises et les activités à forte valeur ajoutée, tout comme les institutions scientifiques de notoriété mondiale, qui créent sans cesse des innovations. De même, les villes sont étroitement liées à la culture; la plupart des institutions culturelles de renommée internationale sont situées dans des zones urbaines.

 

Les villes sont également des laboratoires dans les domaines de la société et de la politique: elles mettent au point et testent des solutions aux défis sociétaux actuels. Souvent considérées de prime abord d’un œil critique, il n’est pas rare que les solutions pionnières apportées par les villes soient transposées dans les politiques cantonale et nationale et finissent par s’intégrer à la politique classique. Je considère comme un mérite des villes progressistes le fait que les responsables politiques de la Suisse entière se penchent désormais sur des questions telles que la compatibilité entre famille et travail ou la durabilité.

 

De la «ville A» à la «ville B» et à présent la «ville C»?

Jusque dans les années 1990, la notion de ce que l’on appelle en allemand les «A-Städte» ou «villes A» (villes comptant un taux élevé de pauvres, chômeurs et étrangers) était encore très répandue. Les familles ont déménagé à la campagne, le prix de l’immobilier des centres-villes a chuté, et Berne n’a pas été la seule ville à tomber financièrement dans le rouge. Mais les villes grandes et moyennes d’aujourd’hui, dont la plupart sont gouvernées par des partis de gauche et des partis verts, sont flexibles et savent se réinventer. Le développement urbain, les politiques du climat, des transports et du logement ont amélioré la qualité de vie dans les villes. De nos jours, les villes sont tellement attrayantes que les familles nombreuses préfèrent vivre dans de petits appartements en ville plutôt qu’à la campagne dans leur propre maison. La ville B(oom) a remplacé la ville A.

 

Puis il y a eu le coronavirus. La Confédération, les cantons et les communes ont dû, et doivent encore, relever le défi de maîtriser cette crise. Les plus grands défis pour les pouvoirs publics ont été de protéger la santé tout en garantissant les fonctions vitales (alimentation, santé, transports publics, électricité, etc.) et le soutien financier pour assurer la subsistance des personnes et des entreprises affectées par le «lockdown». La Confédération, les cantons et les villes font de leur mieux pendant et après la crise du coronavirus. La responsabilité principale incombe à la Confédération et de façon subsidiaire aux cantons. Mais les villes sont également sollicitées: la hausse des dépenses doublée de la baisse des recettes leur cause des problèmes, et elles risquent de connaître des situations financières critiques en raison du coronavirus, ce qui les transformerait en villes C(orona).

 

Un État fort – pour le meilleur et pour le pire

C’est une bonne chose que «l’État» – et j’entends par là les trois échelons de l’État fédéral – assure la cohésion du pays et de la société. Il faut un État fort, pour le meilleur, et surtout pour le pire. Rien ne le démontre mieux que la crise du coronavirus. La Suisse puise entre autres sa force dans sa structure fédérale, qui est toutefois assortie de la garantie d’une compensation financière. La péréquation financière est un élément central du budget suisse. D’une part entre la Confédération et les cantons et entre cantons et d’autre part au sein des cantons, entre le canton et les communes et entre communes.

 

Ce système de péréquation financière est un élément essentiel de la cohésion nationale, de la cohésion entre la ville et la campagne. La Suisse est un système global de politique financière étroitement imbriqué; les forces financières et les niveaux d’endettement des trois échelons de l’État sont interdépendants. Ce n’est qu’avec des centres florissants que les transferts vers les régions périphériques deviennent possibles. Sur le territoire de la ville de Berne, outre les quelque 500 millions de francs d’impôts communaux, environ un milliard de francs de substrat fiscal est généré pour le canton de Berne, auquel s’ajoute un demi-milliard de francs pour la Confédération. Ces chiffres démontrent la force financière et économique des villes.

 

Une participation sur un pied d’égalité

La crise du coronavirus montre clairement que le système actuel de péréquation financière n’est plus en adéquation avec l’importance des villes pour l’économie, la culture et la société. Dernier échelon fédéral, les villes font figure de laissées-pour-compte, alors même qu’elles font tourner les moteurs fédéraux et aussi, dans la plupart des cas, les moteurs cantonaux. Le coronavirus inflige des frais élevés à la Confédération et aux cantons. Contrairement aux villes et aux communes, ils peuvent toutefois les supporter plus ou moins sans problème. Par exemple, les déficits financiers des cantons sont comblés grâce à des fonds de la Banque nationale.

 

Si les villes sont bien vues en tant que bailleuses de fonds, elles ont peu, voire pas du tout voix au chapitre lorsqu’il s’agit de la politique fiscale et de l’allocation des fonds. Et ce bien qu’elles soient généralement fortement impactées, justement en cas de modification des pratiques fiscales cantonales ou fédérales. C’est ce qui s’est passé récemment avec la réforme fiscale et le financement de l’AVS (RFFA), qui génère un manque à gagner dont le montant reste incertain. En matière de RFFA, nous progressons à l’aveuglette, ce qui ne semble déranger ni la Confédération ni les cantons. Un monitorage des modifications mises en œuvre dans la pratique fiscale dans le sillage de la RFFA est indispensable pour mettre un terme à cette absence de visibilité et prendre les mesures de politique fiscale nécessaires. C’est ce que réclament non seulement des initiatives parlementaires (notamment la motion Rytz, qui demande un rapport de monitorage annuel sur la mise en œuvre de la RFFA), mais aussi la Conférence des directrices et directeurs des finances des villes CDFV.

 

Redéfinir les flux financiers

Dans le contexte de la pandémie, les tâches et les devoirs des trois échelons de l’État doivent être passés au crible, et il va falloir tirer des leçons en vue de la modernisation de la péréquation financière avec une pondération plus lourde de l’élément urbain. On a par exemple besoin d’une compensation complète des charges de centre, de fonds pour les mesures climatiques, qui sont particulièrement importantes dans les villes (ces sommes pouvant par exemple provenir de l’impôt sur les huiles minérales), et d’une participation des villes aux fonds de la Banque nationale. Mais il faut aussi enfin s’attaquer à la répartition des impôts entre le lieu de travail et le lieu de résidence et à la limitation de la concurrence entre les cantons.

 

Indépendamment de la question des flux financiers futurs et des pratiques fiscales, je suis convaincu que le coronavirus va changer le visage des villes. Le bond en avant du numérique intervenu en si peu de temps continue à produire ses effets. Pour des villes comme Berne, où le nombre d’emplois est supérieur à la moyenne par rapport à la taille de la population, cela implique une accélération du changement structurel. Si davantage de personnes travaillent à domicile, la fréquentation des arcades de Berne diminuera et les recettes des restaurants à l’heure du dîner resteront encore longtemps en dessous du niveau antérieur à la pandémie. Il incombe aux responsables politiques d’accompagner le changement structurel intensifié par la pandémie et de créer de bonnes conditions pour préserver la qualité de vie et la qualité du site économique offertes par les villes. Ce n’est qu’ainsi que les villes resteront les moteurs économiques et les vaches à lait de la nation.

 

«Après le covid: les voix des villes» paraît chaque mercredi. Cette série est l’occasion pour des experts de différents domaines de prendre position sur les thèmes les plus brûlants de l’actualité du point de vue des villes (s'abonnner).

 

Michael Aebersold est directeur des finances, des ressources humaines et de l'informatique de la ville de Berne.

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